L'évaluation du préjudice né de la rupture d'un contrat de distribution
Aux termes de deux décisions de justice récentes, la Cour d’appel de Paris (12 septembre 2018, pôle 5,4ème chambre, RG n°15/15234) et la Cour de Cassation (Chambre commerciale, 5 juillet 2017, n°16-14201) ont successive-ment livré deux appréciations différentes du préjudice réparable dans [hypothèse d’une rupture abusive d’un contrat de distribution.
Rappelons que deux fondements juridiques distincts permettent d’obtenir la réparation du préjudice né de la rupture abusive d’un contrat de distribution puisqu’il est possible d’agir :
- d’une part, sur le terrain de responsabilité contractuelle (articles 1103,1104 et 1217 du Code civil) : cette action consiste à réclamer à la partie responsable de la rupture la réparation de la marge brute que la victime aurait perçue si le préavis prévu au contrat avait été honoré ;
- d’autre part, sur le terrain de la responsabilité délictuelle (article L.442-6-I-5° du Code de commerce afférent à la rupture brutale des relations commerciales établies) : cette action permet quant à elle d’obtenir une réparation équivalente à la marge brute que la victime de la rupture aurait perçue si un préavis raisonnable avait été respecté.
Concrètement, le premier fondement sera souvent préféré lorsqu’un préavis contractuellement prévu n’a pas été respecté alors qu’aucune faute susceptible de justifier une résiliation sans préavis n’a été commise.
En effet, outre les difficultés liées à la compétence territoriale et matérielle des tribunaux en matière de rupture brutale de relations commerciales établies, il faut rappeler que la notion de « délai de préavis raisonnable » reste à l’appréciation des juges mêmes si la jurisprudence a permis de dégager des tendances.
Pour faire très simple, il était jusqu’à présent surtout intéressant d’agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle dans les cas suivants :
- lorsqu’il n’existait aucun contrat,
- lorsqu’aucun préavis n’était contractuellement prévu,
- lorsque la relation commerciale état ancienne mais constituée de plusieurs contrats courts prévoyant des pré avis courts.
Ces deux arrêts récents, rendus par des juridictions différentes, sont toutefois venus modifier cette stratégie judiciaire.
En effet, dans ces deux affaires :
- des contrats avaient été résiliés sans que le préavis – contractuel ou légal – n’ait été respecté,
- les deux parties victimes des agissements avaient retrouvé, au cours de ce délai préavis, un partenaire leur permettant de générer à nouveau de la marge brute.
Saisie d’une action fondée sur la responsabilité contractuelle, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’il convenait de tenir compte du chiffre d’affaires réalisé par la victime au cours de la période de préavis dans l’appréciation de son préjudice réparable.
En effet, considérant que le préjudice réparable ne pouvait excéder le préjudice effectivement subi, la Cour d’appel a déduit des sommes réclamées par la victime la marge réalisée par elle pendant le délai préavis.
Saisie d’une action fondée sur la responsabilité délictuelle cette fois, la Cour de cassation a, quant à elle, estimé que la victime d’une rupture brutale avait droit au versement d’une indemnité correspondant à la totalité de la marge brute qu’elle aurait dû dégager si le préavis avait été respecté, sans tenir compte du chiffre d’affaires effectivement réalisé par elle pendant cette période.
En l’état de cette jurisprudence, la victime d’une rupture brutale qui agit sur le fondement contractuel peut voir le montant de son préjudice réparable amputé des marges brutes réalisées par elle pendant le délai préavis tandis que celle qui agit sur le fondement délictuel a droit au versement d’une indemnité correspondant à la totalité de la marge brute qu’elle aurait dégagée pendant le préavis qui aurait dû lui être accordé.
Cette inégalité de traitement ne nous paraissant pas justifiée, il est fort probable qu’un revirement de jurisprudence interviendra – dans un sens ou dans l’autre – afin d’harmoniser la situation.
Dans cette attente, il peut toutefois être plus opportun pour la victime d’une rupture abusive d’un contrat de distri-bution d’agir sur le fondement de l’article L.442-6-I-5° du Code de commerce.